LES 6 ÉTAPES CLEFS D'UN REBRANDING ARTISTIQUE (2/2)
L'IMPORTANCE DU BRANDING - LES LEÇONS DU CAS YACHTY
Dans la précédente ➥☆ Quali news ↨↺, j’introduisais l’importance du branding artistique via le cas de Lil Yachty. On a ainsi pu passer en revue les 4 premières étapes clefs de son branding sur les 6 évoquées : recréer un lien affectif, se repositionner sur le marché, poser le branding, et enfin, imposer une innovation.
Dans la continuité du #DEBUNK précédent, je vais donner ici les 2 dernières étapes du branding de Lil Yachty mais je vais surtout me concentrer sur les apprentissages que l’on peut en tirer. Quand s’atteler au branding ou au rebranding artistique ?
LA ZONE GRISE ☆ LE DÉBUT DE LA MISE À JOUR
RECRÉER UN LIEN AFFECTIF ☆ SE CONCENTRER SUR LE PRODUIT
REPOSITIONNEMENT ☆ S’IMPOSER COMME RÉFÉRENCE DE L’UNDERGROUND
POSER LE BRANDING ☆ CONFIRMER SON STATUT PAR UN PIED-DE-NEZ
INNOVATION STRATÉGIQUE ☆ CRACKER LES DSPS
ASSEOIR L’IMAGE ☆ HOMOGÉNÉISER LES SUPPORTS
Introduite avec le teaser de l’album Let’s start here, Lil Yachty et son équipe arrivent avec une direction artistique propre, désormais déclinée sur tous ses supports de communication des posts Instagram aux clips en passant par les stories. Ces derniers sont quasiment tous pensés par AMD, de Little Miles et parfois accompagné de Mihailo Andic. Ils imposent, sur chaque visuel, du grain, un étalonnage singulier mais surtout des tableaux forts esthétiquement.
Les styles vestimentaires, les poses et le mouvement de Yachty se conjuguent visuellement désormais toujours avec le lieu où il est filmé. C’est une caractéristique que Kodak Black a beaucoup réalisée mais que Central Cee a largement introduit au niveau mainstream. La première illustration de cette nouvelle ère visuelle de Yachty est le titre Strike (Holster) produit par Cole Benett. Ça a l’air simple, facile et authentique.
DÉVELOPPEMENT DE L’OFFRE BUSINESS ☆ CONSTRUIRE AUTOUR DE LA MUSIQUE
Avec un nouveau branding installé et qui fonctionne, Lil Yachty lance l’élargissement de son offre business qui se conjugue en trois temps.
☆ VENDRE SON IMAGE
Le boug est enfin stylé. Du coup, il peut multiplier les campagnes. Il collabore ainsi avec Nike ou encore Mc Donald’s et devient même égérie YSL Beauté. Fini, l’artiste goofy pour enfant ; la stature de Lil Yachty est réaffirmée.
☆ LANCEMENT DE SON LABEL
Il impose son rôle de “grosse tête” de l’industrie, qui découvre et pousse les talents cools via son label Concrete Boys composé des jeunes artistes Karrahbooo1, DC2trill, Draft Day et Camo!. Le tout est toujours distribué par la Motown et Quality Control.
Après un teasing de presque 1 an lancé sur SoundCloud avec le titre TUNDE puis plus officiellement par un freestyle On The Radar, la tape d’introduction du label It’s US vol. 1 sort le 5 Avril 2024.
☆ DÉVOLOPPEMENT D’UN PODCAST
Enfin, il impose son caractère authentique via son podcast A Safe Place où il invite des figures d’internet comme des artistes underground ou encore des sportifs. Il mène la danse et confirme sa posture cool en dévoilant un peu plus son intimité et en abordant des sujets rarement explorés par des artistes. Cette stratégie de soft power lui permet d’avoir toujours une actualité via des vidéos YouTube qui atteignent en moyenne 600K vues même sans sortie musicale à défendre.
Ainsi, il se crée une nouvelle tribune qui peut elle-même lui permettre d’élargir son offre business (le podcast est généralement sponsorisé par une marque).
En l’espace de 3 ans, Lil Yachty a réussi à s’offrir un terrain propice pour développer une nouvelle ère de sa carrière. En trouvant le bon positionnement, l’artiste d’Atlanta se lance dans un nouveau branding en 6 étapes qui parait faussement léger :
(Etape 0)La Zone Grise - le début de la mise à jour. Le cap n’est pas clair, on brouille les pistes. On perd ainsi l’engouement de la fan base.
Recréer un lien affectif pour se concentrer sur le produit. En se dévoilant sincèrement et en étant plus spontané, il se rapproche de son coeur de cible. Tout cela, lui laisse le temps de retravailler au maximum sa musique.
Repositionnement - Il impose sa stature avec des feats réfléchis.
Poser le branding - Il reconfirme son positionnement par la musique en faisant un contre-pied magistral et pose les fondements de son nouveau branding à l’image.
Innover quant à la stratégie - Digestion parfaite des contraintes du marché avec une stratégie en cascade.
Asseoir l’image - L’image et les idées associées à la marque sont posées seulement lorsque le produit est efficace et le positionnement clair.
Elargissement de l’offre business. Capitalisation de 2 ans de travail.
Dans l’industrie musicale, on a souvent tendance à oublier qu’une gestion de carrière c’est comme diriger une marque.
Lorsque la marque montre des faiblesses, il est important de la revitaliser pour rester en phase avec le marché. C’est le cycle de vie classique d’une marque : lancement, croissance, maturité, déclin2. Et, lorsque le déclin se fait ressentir c’est le moment de se demander : Est-ce que je propose toujours un produit qui répond aux attentes du marché ? Est-ce que j’suis toujours dans le bon ? Si oui, est-ce que mon positionnement est toujours pertinent ? Si non, on va lui faire laquelle ?
Pour reprendre le cas de Lil Yachty, il est judicieux de noter que l’artiste se permet de faire un glissement de branding après 5 ans de carrière et surtout après avoir sorti 3 albums à un niveau global (Teenage Emotions, Lil Boat 2 et Nuthin’ 2 Prove) dans une industrie très muable et qui oublie vite. Le changement parait alors être la meilleure manière de se relancer et faire comprendre à son public qu’on le comprend.
Le repositionnement et le rebranding doivent donc s’effectuer lorsqu’on constate une perte d’engouement se traduisant par des statistiques stagnantes ou en baisse, rendant difficile le franchissement d’un nouveau cap.
En ce sens, il parait pertinent de créer des ères pour inscrire l’évolution de la marque sur le marché alors même que le public cible évolue en parallèle3.
Il ne faut pas avoir peur de perdre des clients (ici des fans) pour en gagner de nouveaux. Et lorsqu’on passe à une autre ère, il ne faut pas tomber dans la nostalgie. Les temps changent, le contexte socio-culturel évolue et le public cible suit évidemment cette évolution4.
Quoiqu’il en soit, une fois cette généralité avancée l’analyse dans le détail du rebranding de Lil Yachty permet d’affirmer plusieurs points.
☆ POSER LES FONDEMENTS DANS LE TEMPS
Il est crucial de souligner l’importance du temps dans le processus de rebranding. C’est pourtant quelque chose que nous avons souvent du mal à accepter dans les industries créatives. On souhaite généralement un retour sur investissement économique immédiat, sans penser à une réelle stratégie globale permettant de tenir 10 ans de plus.
Pour Yachty, ce rebranding pose ses fondements en 2020 et émerge seulement début 2023 pour porter ses fruits économiquement mi-2024. Le boug a fait preuve de patience et ça paie.
De cette manière, dans une stratégie de rebranding, le premier retour sur investissement recherché n’est pas la rentabilité financière mais la rentabilité culturelle5.
On va d’abord activer un engagement fort auprès de la fanbase. Cette hyperactivité de la fanbase corrélée à notre nouveau statut culturel nous permettra dans un second temps d’atteindre la rentabilité économique.
☆ ASSURER UNE LISIBILITÉ SANS FAILLE
L’exemple de Yachty et plus particulièrement du projet Lil Boat 3, nous permet d’affirmer qu’un repositionnement et un rebranding ne peuvent réussir qu’à partir du moment où une coupure nette est effectuée. En effet, sans rupture, on se retrouve dans une zone grise où notre positionnement n’est pas clair aux yeux du prospect cible. Ce positionnement doit être extrêmement limpide ; on ne peut pas construire quelque chose de solide sur une terre mouvante.
☆ SE MONTRER FORCE DE PROPOSITION
Il est difficile de sortir du lot sans innover. Les meilleurs branding sont généralement accompagnés d’une stratégie créative un tant soit peu novatrice sur leur marché.
☆ NE RIEN PRENDRE POUR ACQUIS
Une fois la rupture effectuée et les actions de rebranding lancées, il faut persévérer. Rien n’est jamais acquis.
Par exemple, encore aujourd’hui, Lil Yachty conforte toujours son lien avec ses fans. Il continue de les chouchouter avec des sorties surprises sur SoundCloud, à l’image de The Concrete Leak System, mais aussi de surprendre avec ses contre-pieds comme l’album Bad Cameo en commun avec James Blake.
☆ ALIGNER L’IMAGE SEULEMENT LORSQUE LE PRODUIT EST PRÊT
Le branding doit toujours porter avec authenticité la nature du produit. C’est-à-dire que le branding doit se penser à 360° uniquement lorsque le produit et son positionnement ont été consolidés.
C’est d’autant plus intéressant dans le cas Yachty puisque l’image a été révélée uniquement lorsque le produit était terminé : c’est la musique qui prime. C’est d’autant plus rare dans une ère du divertissement où beaucoup de stratégies se concentrent en priorité sur l’image. Pourtant, si le produit est mauvais et que le positionnement n’est pas clair, le packaging ne changera rien.
En somme, une stratégie qui se concentre sur l’image alors que le produit n’est pas fini n’est pas du tout viable. De plus, lancer l’image alors que le produit n’est pas consolidé risque simplement de troubler le public cible alors qu’il est déjà sur-sollicité (nous n’avons généralement que 3 secondes pour l’interpeller). Dans ce sens, lorsque l’on va le draguer il est important d’avoir un discours simple, clair, impactant et digeste.
Grâce à ce rebranding à 360°, Lil Yachty a su dépasser les travers du cycle de vie d’une marque et de relancer sa carrière pour plusieurs années. Mais il est peut-être encore tôt pour crier victoire. Il faudra voir le développement et le succès, ou non, de son label Concrete Boys. Pour le moment, l’attente de Karrahbooo est réelle (elle est plus dans le label depuis que j’ai écrit). Cependant, les différences d’univers entre Lil Yachty et ses talents sont encore à poser et à consolider pour créer une vraie communauté propre à chaque artiste. C’est ce que Travis Scott avait galérer à faire avec Cactus Jack. L’imagerie était trop poreuse. Le résultat est que l’on ne retient que de Don Toliver ; Sheck Wes n’a qu’un gros morceau et tout le monde a oublié le dernier boug, Luxury Tax 50.
Affaire à suivre.
Depuis que j’ai écrit ça, elle est plus dans le bail miskina.
Le cycle de vie d’une produit a été théorisé dans les années 1960 par l’économiste Raymond Vernon. Le concept est toujours aussi pertinent aujourd’hui. Je fais ici un parallèle produit / marque.
https://en.wikipedia.org/wiki/Product_life-cycle_theory
C’est ce que Booba a réussi à faire tout au long de sa carrière par exemple.
C’est pourquoi Or Noir 3 de Kaaris n’aura jamais la même saveur que Or Noir 1 et 2. Les attentes culturelles ne sont pas les mêmes en 2013 qu’en 2019.
On parle de plus en plus souvent de “monnaie culturelle” dans le marketing créatif. La théorie est défendue par Ana Andjelic (Sociology of Business). Peut-être que je reviendrai sur ça dans une prochaine ➥☆ Quali news ↨↺.
Ici, j’avance la “rentabilité culturelle” ; bellek j’invente le ROC (Return On Culture - Retour Culturel) 🤷🏾♂️