TOUT EST DANS LE STORYTELLING (1/2)
#DEBUNK, LA ☆ STRATÉGIE AIC ☆ (ALBUM-IMAGE-CONCEPT). COMMENT CRÉER UN CONCEPT FORT POUR VENDRE PLUS ET MIEUX ?
Personnellement, j’ai découvert 21 Savage sur Soundcloud avec la mixtape Savage Mode en collaboration avec un jeune compositeur du Missouri : Metro Boomin. Il impose alors à ce moment - en 2016 - quelque chose de très différent et surprenant. 21 Savage a un ton nonchalant, presque lancinant ; l’univers est macabre. Le boug sort du cimetière ce qui envoûte une partie du public et rebute totalement l’autre.
Se pose alors une question : comment un trapper terriblement underground d’Atlanta - toujours en l’air sous lean, habitué aux sorties impulsives de mixtapes comme Gucci Mane - peut évoluer en termes de carrière et de business ?
En sous-entendu, est-ce qu’il peut faire évoluer sa stratégie sans mettre à mal sa musique pour toucher un plus large public ? Est-ce que l’artiste a atteint un plafond de verre économique ? Est-ce que d’autres étapes peuvent s’offrir à lui, en l’occurence le mainstream sans dénaturer sa musique ? Autrement dit, comment 21 Savage peut faire passer sa musique d’underground à mainstream ?
Il répond vite à une partie des ces interrogations. Musicalement, dès Savage Mode, il tente des ouvertures plus mélodieuses avec le titre No Heart. Il transforme ensuite l’essai et montre son sens du hit sur son 1er album ISSA - le titre Bank Account arrive, à l’époque, à la 12ème place du Billboard 100. Mais, j’ai l’impression que c’est avec le projet I am > I was qu’il mettra vraiment tout le monde d’accord. D’ailleurs, les chiffres commerciaux le confirment.
Aujourd’hui, dans la série #Debunk, je vais m’intéresser à décrypter une stratégie de renouveau en matière de branding dont l’objectif est d’élargir son public cible, plus particulièrement dans l’industrie de la musique. Cette ☆ stratégie ☆, je l’ai appelé AIC pour Album-Image-Concept.
☆ MISE EN PLACE
Ce qui m’avait vraiment marqué à l’époque de I am > I was, c’est le renouveau de style vestimentaire (exit l’amoncèlement de bijoux) mais aussi tous les verbatims qui ont accompagné la sortie du projet. 21 Savage s’était appliqué, dans les interviews, à clamer haut et fort son nouvel état d’esprit.
En gros, ça donnait : Maintenant que j’ai fait de l’argent, je me suis rendu compte que le plus important c’est pas de faire la mala. Steve Jobs il a vlà la caille et pourtant il porte juste un polo simple ; il n’a pas de grosses chaînes, il ne porte pas de designers. Nous les rappeurs, on est esclave de ce système. Je ne suis plus dans celle là : j’ai grandi, je suis meilleur aujourd’hui que je ne l’ai pu l’être avant et je ne veux que des relations saines autour de moi. La loyauté, c’est est plus important que l’amour.
Bien briefé, 21 Savage nous sert sa Sauce (son storytelling). Il produit même son propre mini-documentaire en guise de teaser d’album pour poser sa vision et donner explicitement tous les sous-titres de son nouveau branding. Le ton est solennel et simple ; on tombe les deux pieds dans le pathos. 21 Savage et son équipe nous servent du vrai, de l’authentique. L’artiste n’a même pas besoin de single en amont puisque son attente est trop forte après le succès de Savage Mode puis son 1er hit Bank Account.
À la sortie de I am > I was, l’album sera soutenu seulement par 2 clips en post sortie. 21 Savage assoit alors clairement sa position et ses nouvelles valeurs autour du partage et de la simplicité.
Le premier clip a lot, en featuring avec J. Cole, est réalisé par Aisultan Seitov et produit par Yulia Safonova et Jannibiss. Ce clip marque une rupture franche avec ce que 21 Savage proposait jusqu’à présent.
Dorénavant, il assoit sa stature et ne se montre plus avec des gros bijoux mais plutôt sobrement. Au caractère authentique s’appuie alors la vulnérabilité puisqu’il nous dévoile sincèrement ses questionnements les plus personnels comme son rapport à célébrité sur le titre Monster ou encore sa relation avec sa mère sur Letter 2 My Momma.
Le nouveau branding fonctionne parce que la musique (le produit) suit : elle est plus mature et plus humaine. Tout ça est à l’image des 2 titres qui charts le mieux ball w/o en hommage à Amber Rose 🤪 mais aussi le titre a lot en featuring avec J. Cole.
☆ RÉSULTATS
Economiquement ça paie aussi puisque avec son 2ème album, 21 Savage fume tous ses précédents records.
À sa sortie, l’album rentre directement la place #1 du Billboard 200.
Il double ses ventes (131 000 unités) dès la première semaine par rapport ce qu’il avait réalisé avec son précédent album solo ISSA (75 000 unités).
Le nouvel album devient ensuite platine en pile 1 an.
21 Savage reçoit son premier Grammy pour a lot qui a atteint la 12e place du Billboard 100 et accumulé près d’1 milliard de streams sur Spotify seulement (au moment où j’écris).
☆ ANALYSE
21 Savage nous a bien berné !
Après la tournée de l’album I am > I was, 21 Savage ressort tous ses designers, ses bijoux et repart de plus belle. L’artiste d’Atlanta a créé un réel album fondé uniquement sur un concept d’image, ou du moins sur un storytelling, pour mieux vendre à un moment stratégique.
Par là, je veux dire qu’il a créé un univers fort, empreint de vulnérabilité et d’authenticité, mais en ne changeant que très peu sa musique. Le fond de la musique de 21 Savage reste le même : la violence. La forme reste relativement la même : des beats trap. Mais il sublime ce qu’il fait déjà bien autour d’un concept narratif différenciateur qui s’avèrera être juste une vitrine.
La seule vraie nouveauté est l’introduction de thèmes inédits pour lui. Et pour que ça fonctionne, il fallait que cette prise de parole semble sincère.
Mais attention ; ce n’est pas un album concept comme on l’entend au sens classique. I am > I was n’a pas de partis pris musicaux disruptifs à la Yeezus de Kanye West, par exemple. Ce n’est pas non plus un album porté par des concepts de marketing, appliqués au pif après coup. Dans ce dernier cas, on trouve souvent des incohérences terribles entre l’image et le storytelling imposés par le marketing et le fond de la musique proposée par l’artiste.
Dans le cas de 21 Savage, c’est bien l’inverse : le produit - ici la musique - détermine la stratégie mise en place. Le branding soutient un produit et non l’inverse. Le produit est juste affiné et pas totalement remodelé ; on utilise alors un concept autour de l’image via un storytelling éphémère mais authentique rudement bien ficelé pour toucher un public plus large sans perdre les superfans.
C’est ce que j’appelle la ☆ Stratégie Album-Image-Concept ☆ (AIC) : la mise en place d’une image forte portée par un storytelling temporaire mais sincère pour revaloriser une marque (ici un artiste) aux yeux du marché, en défendant de nouvelles valeurs universelles en phase avec les attentes culturelles du moment tandis que le produit (ici la musique) évolue très peu.
Pour résumer, l’activation de la ☆ Stratégie AIC ☆ se fait en 4 étapes :
Je définis et je clame mon nouveau branding.
→ Prise de parole en nom propre pour mettre en avant les nouvelles valeurs authentiques et assez universelles pour toucher le plus grand nombre.
Je fais monter la Sauce.
→ On laisse les média et la fan base s’accaparer le nouvel état d’esprit et on leur donne un peu de pain : une photo par-ci, une petite vidéo par-là qui alimentent le nouveau branding. Les médias et les super fans deviennent alors acteurs de la stratégie de rebranding.
J’aligne mon produit aux nouvelles valeurs que je défends.
→ Il n’est pas nécessaire de beaucoup changer la musique. Du moins, la musique doit se montrer authentique et défendre les nouvelles valeurs du branding ; il est donc nécessaire de changer les thèmes d’écritures.
→ C’est le moment idéal pour lancer un single.
Je distribue ma Sauce.
→ On drop le produit. Ici, l’album.
6 ans après I am > I was et après ses aventures avec Metro Boomin et Drake, 21 Savage reprend exactement la même recette avec l’album american dream. Ici, il se focalise sur son identité britannique révélée au grand jour. Le roll out est lui aussi identique : 0 single et un simple teaser narratif qui introduit l’histoire du projet.
Mais la Sauce prend moins, elle a moins de saveur : le concept est moins lisible et moins rassembleur. En parallèle, la musique servie semble moins authentique ; du coup, on croit moins en l’histoire. Et puis, il faut aussi dire que le boug 21 était carrément moins attendu.
En conséquence, il fait presque les mêmes scores que sur l’album précédent et vend même moins de physiques. Mais attention, ce n’est pas un flop. Il arrive à rentrer tout de même 14 titres dans le Billboard 100 contre 9 seulement avec I am > I was.
En conclusion, l’analyse de la stratégie de 21 Savage nous montre concrètement que miser sur un rebranding fondé sur une stratégie Album-Image-Concept est pertinent et rentable dans le développement d’une carrière. Alors que l’on pense souvent que le développement passe par une modification fondamentale de la musique, 21 Savage nous prouve le contraire. Cependant le dernier essai du trapper d’Atlanta pointe aussi du doigt les limites de cette stratégie.
Je reviendrai dans un prochain article sur les limites de la mise en place de la stratégie AIC.